Des spins moléculaires répondant à la lumière

Publication / Recherche
13 avril 2021
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Une nouvelle interface spin-photon faite de molécules contenant de l’europium(III) ouvre des perspectives dans le développement des ordinateurs quantiques – ces résultats obtenus pas des chercheurs du KIT et du CNRS sont publiés dans la revue Nature Communications.

Accélérer le traitement de l’information grâce aux ordinateurs quantiques. Les ordinateurs quantiques, contrairement aux ordinateurs classiques,  utilisent des bits quantiques pour traiter l’information. Un bit quantique (qubit) peut être simultanément dans de nombreux états entre 0 et 1 en raison d’une propriété de la mécanique quantique appelée superposition quantique. Cela permet de traiter les données en parallèle, ce qui augmente la puissance de calcul des ordinateurs quantiques de façon exponentielle par rapport aux ordinateurs classiques.

Les états de superposition des qubits doivent durer longtemps. 

« Afin de développer des ordinateurs quantiques, les états de superposition d’un qubit doivent persister suffisamment longtemps. Les chercheurs parlent de temps de cohérence »

explique le Professeur Mario Ruben, responsable du groupe de recherche sur les matériaux quantiques moléculaires à l’Institut de Matériaux et Technologies Quantiques (IQMT) du KIT.

« Cependant, les états de superposition d’un qubit sont fragiles et sont perturbés par les fluctuations de l’environnement, ce qui conduit à la décohérence, c’est-à-dire au raccourcissement du temps de cohérence. » poursuit-il. 

Pour préserver l’état de superposition assez longtemps pour le traitement de l’information quantique, il est nécessaire d’isoler les qubits d’un environnement bruyant. Les niveaux de spin nucléaire dans les molécules peuvent être utilisés pour créer des états de superposition avec de longs temps de cohérence car ils sont bien protégés de l’environnement.

Les molécules sont bien adaptées pour créer des qubits. Un seul qubit ne suffit pas pour construire un ordinateur quantique. Il en faut un grand nombre, chaque qubit devant pouvoir de plus être manipulé. Les molécules représentent des qubits idéaux car elles peuvent être obtenues et organisées en tant qu’unités identiques en nombre suffisamment grand et être manipulées par la lumière. En outre, les propriétés physiques des molécules, telles que l’émission de lumière et/ou les propriétés magnétiques, peuvent être adaptées en changeant leurs structures par des principes de conception chimique.

Dans leur article publié dans la revue Nature Communications, des chercheurs, dirigés par le Prof. Mario Ruben  de l’IQMT du KIT et du Centre Européen des Sciences Quantiques de Strasbourg  (CESQ)  et le Dr. Philippe Goldner, chercheur CNRS  à Chimie ParisTech, présentent un dimère d’europium trivalent contenant des spins nucléaires. Ceux-ci peuvent constituer des qubits manipulables par la lumière.

Cette molécule est conçue pour émettre une luminescence, produite par l’europium, lorsqu’elle est excitée à travers les ligands entourant la terre rare et absorbant la lumière ultraviolette. Après absorption de la lumière, les ligands transfèrent l’énergie lumineuse vers l’europium, ce qui permet son excitation. La relaxation de ce dernier vers son état fondamental conduit à une émission de lumière. L’ensemble du processus est appelé luminescence sensibilisée. Le creusement de trous spectraux – des expérience particulières utilisant des lasers – permet de détecter la population des niveaux de spin nucléaire, ce qui indique la possibilité de créer une interface efficace entre lumière et spin nucléaire.

Cette interface peut permettre la génération de qubits de spins nucléaires accessibles par la lumière.

« En démontrant pour la première fois une polarisation spin nucléaire induite par la lumière dans une molécule contenant de l’europium, nous avons réussi à faire un pas prometteur vers le développement d’architectures informatiques quantiques basées sur des molécules à base de terres rares» explique le Dr Philippe Goldner.

Pour en savoir plus

Reférence. Optical spin-state polarization in a binuclear europium complex towards molecule-based coherent light-spin interfaces Kuppusamy Senthil Kumar, Diana Serrano, Aline M. Nonat, Benoît HeinrichLydia Karmazin, Loïc J. Charbonnière, Philippe Goldner et Mario Ruben Nature Communications 12 avril 2021. 

Légende image : une molécule contenant de l’europium comme qubit de spin nucléaire manipulable par la lumière.