Si chimie et environnement n’ont pas toujours été en synergie, la prise de conscience des industriels de leurs responsabilités dans l’impact environnemental et la pression exercée par l’opinion publique et politique ont amorcé un véritable tournant depuis les années 1990. Les problématiques environnementales font à présent partie intégrante de la conception des procédés, du choix des réactifs à la production des déchets, en passant par leur recyclage et leur possible revalorisation.
A Chimie ParisTech, les chercheurs se penchent sur des problématiques comme le recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques, ou encore sur le développement de synthèses plus vertes par l’utilisation de la catalyse. Résolument tournées vers des applications industrielles, ces recherches visent à optimiser des procédés industriels déjà existants ou à développer de systèmes novateurs, exploitant par exemple la chimie en continu.

Le recyclage : comment valoriser nos déchets électroniques usagés

La récupération sélective d’un déchet, produit a priori en fin de vie, doit notamment tenir compte de ses propriétés et de sa dangerosité, puis de son traitement et sa transformation pour permettre son utilisation ultérieure. C’est un véritable casse-tête technologique, notamment pour les déchets nucléaires afin de permettre leur réutilisation dans les centrales, ou les déchets d’équipements électriques et électroniques (appelés DEEE).

Selon l’ADEME en 2016 pour 1,73 millions de tonnes d’EEE mis sur le marché, la filière de traitement et de collecte des DEEE, créée en 2006 en France, a récupéré plus de 725 000 tonnes de DEEE et traité environ 721 000 tonnes. Ces déchets contiennent de nombreux métaux stratégiques :

  • Cu et Sn dans les circuits imprimés,
  • Li et Co dans les batteries usagées,
  • Terres rares dans les ampoules et lampes usagées, dont la densité en minerai se trouve être plus importante que celle des gisements actuels !

Leur récupération est primordiale pour économiser les ressources disponibles et sortir de la dépendance aux marchés mondiaux.

C’est l’objectif des travaux menés dans le cadre de la chaire Mines Urbaines soutenue par Eco-systèmes et regroupant trois établissement du réseau ParisTech : Arts et Métiers ParisTech, Mines ParisTech et Chimie ParisTech, à travers trois équipes de recherche.

L’équipe MIM2- Matériaux, Interfaces et Matière Molle-, dirigée par Min-Hui Li, s’intéresse à la récupération sélective du lithium. Elle s’appuie sur son expertise en hydrométallurgie et sa connaissance des processus de lixiviation pour mettre au point une méthode efficace et viable de valorisation de ces métaux. L’équipe MIM2 explore aussi la récupération sélective du tungstène ou du Tantale ou encore à la biolixiviation des cartes électroniques en collaboration avec le BRGM.

L’utilisation des plasmas thermique ou froid, piste prometteuse pour la récupération sélective des métaux sous certaines conditions à partir des D3E, est l’objet de recherches au sein de l’équipe 2PM dirigée par le Pr Michael Tatoulian.

L’équipe SEISAD- Synthesis, Electrochemistry, Imaging and Analytical Systems for Diagnosis Team- dirigée par Anne Varenne développe quant à elle des systèmes analytiques miniaturisés reposant sur la micro fluidique pour améliorer l’analyse des métaux.

La chimie est partie intégrante des problématiques actuelles de recyclage. Mais elle intervient également en amont, lors de la conception.

Le développement de nouvelles stratégies de synthèse : comment utiliser la chimie pour produire plus efficacement et plus proprement

Les recherches menées actuellement à Chimie ParisTech en synthèse portent en grande partie sur l’exploitation de systèmes catalytiques pour améliorer non seulement le rendement, mais également mieux contrôler la régiosélectivité de la réaction ou la microstructure dans le cas de polymères. La grande diversité des types de catalyses et l’intérêt croissant que leur porte l’industrie font de ce sujet une véritable solution d’avenir pour des synthèses plus performantes et plus vertes (diminution des quantités de déchets, du nombre d’étapes…)

L’équipe COCP - Chimie Organométallique et Catalyse de Polymérisation- dirigée par le Pr Christophe Thomas étudie comment réaliser des synthèses éco-compatibles avec des bioressources pour faire des polymères biodégradables. Pour cela, l’équipe réfléchit tant à la conception du polymère qu’à sa fin de vie (biodégradabilité, recyclage, valorisation…), qui se trouve être conditionnée par son usage. Côté conception, l’équipe s’appuie sur la fonctionnalisation de bio-ressources par catalyse et sur le développement de systèmes catalytiques tandem.

Ces systèmes tandem permettent d’utiliser un même système catalytique pour effectuer plusieurs étapes d’une même synthèse, ce qui nécessite de relever de nombreux défis, comme la stabilisation du catalyseur dans le milieu, ou encore la gestion des produits secondaires et intermédiaires, qui doivent être compatibles avec l’activité catalytique et ne pas réagir avec le cycle principal. La catalyse tandem offre la possibilité de synthétiser des polymères à partir de bio-ressources en one-pot, ce qui limite les expositions aux produits toxiques lors de la production, la consommation énergétique, la production de déchets ainsi que les barrières énergétiques rencontrées dans le cycle. A terme, cela permettrait la formation de macromolécules plus complexes, inaccessibles en synthèse avec les méthodes actuelles. De nouveaux polymères produits à partir de diacides issus de bioressources ont pu être réalisés par cette voie.

Son expertise en chimie organométallique a également amenée cette équipe à travailler sur la modification de catalyseurs in situ, avec une transformation maîtrisée. L’objectif est de limiter les problèmes de compatibilité avec certaines fonctions et diminuer l’impact de la structure des intermédiaires réactionnels rencontrés. Cela laisse entrevoir la possibilité de produire à partir de bio-ressources, qui s’avèrent être souvent très fonctionnalisées et pourvues de nombreux centres stéréogènes sensibles.

Cet intérêt pour les bio-ressources et les molécules est également partagé par l’équipe CSB2D -Catalyse, Synthèse de Biomolécules et Développement Durable-  menée par le Dr Virginie Vidal. Spécialisée en synthèse totale de biomolécules, elle utilise des méthodes de métallo-organocatalyse pour réaliser des couplages ou des fonctionnalisations de manière plus sélective et contrôlée. Par exemple, l’obtention de différents produits en modifiant les conditions opératoires est un challenge en chimie organique et est un puissant outil en synthèse divergente, ce que les chimistes organiciens sont parvenus à réaliser par l’étude de l’activité catalytique divergente de l’argent et l’or sur des cyclisations oxydantes. Pour ses travaux en organocatalyse, l’équipe utilise un acide de Lewis pour mener avec une bonne régiosélectivité, dans des conditions douces et sans catalyseurs métalliques, des couplages alkyne-aldéhyde. Enfin, elle s’appuie sur des méthodologies de synthèse déjà acquises pour optimiser des réactions par l’utilisation de complexes à base de métaux de transition, tels que le ruthénium.

Ce focus nous montre comment la chimie intègre l’environnement dans l’ensemble de ses domaines d’activité. Sur demande des industriels, l’équipe COCP améliore des systèmes catalytiques déjà existants en remplaçant des métaux toxiques tels que l’étain par des substituts plus respectueux de l’environnement. Ces recherches devraient limiter à terme l’exposition aux polluants et donc leur impact sur la santé publique, mais aussi contrer cette pollution et la traiter.

L’analyse et le traitement de polluants : comment détecter, quantifier et éliminer les contaminants afin de limiter les risques d’exposition

La chimie a un rôle primordial à jouer dans la lutte contre la pollution, de la compréhension du phénomène jusqu'à son traitement. La contribution des chercheurs de Chimie ParisTech dans ce domaine portent sur le nucléaire et le traitement des composés organiques volatils.

L’équipe MIM2 -Matériaux, Interfaces et Matière Molle- en partenariat avec EDF étudie les mécanismes de formation d’effluents radioactifs au sein des circuits primaires et secondaires des REP (Réacteur à Eau Pressurisée, type de réacteur très largement exploité sur le parc nucléaire français). Il règne dans ces circuits des conditions de température et de pression extrêmes qui créent des phénomènes importants de corrosion, qu’il est important de comprendre pour les prévenir. L’eau, par ces passages répétés dans les circuits, se charge en pollution radioactive qui se dépose dès lors que sa température diminue, ce qui conduit à la formation de hotspots qui peuvent s’avérer nocifs. Il faut pouvoir maîtriser à terme cette source de pollution et connaître les zones contaminées notamment lors du démantèlement des centrales.

L’équipe 2PM - Procédés, Plasma, Microsystèmes- dirigée par le Pr Michael Tatoulian travaille le traitement d’un  polluant : les COV (Composés Organiques Volatils). Caractérisés par leur grande volatilité, ces composés sont nocifs pour la santé en raison de leurs interactions avec l’ozone et de leur nature toxique, et pour l’environnement car ils contribuent à l’effet de serre. Pour traiter ces composés dans l’air, l’eau et les sols, l’équipe développe des procédés propres et élabore des microsystèmes, en utilisant la chimie du plasma. Cela passe par le design et l’optimisation de réacteurs chimiques en micro et macro-systèmes, pensés pour une industrie plus sûre et propre.

Et demain ?

Le lien entre chimie et environnement est plus que jamais essentiel.

Les recherches sur la catalyse, et les espoirs suscités par les systèmes tandem, feront sans aucun doute partie des synthèses industrielles de demain. Le regain d’intérêt porté aux métaux abondants tels que le fer et les nombreux efforts portés sur le recyclage des terres rares laissent entrevoir un bel avenir à cette science.

Concernant les procédés, ce sont les systèmes de chimie en continu qui portent à présent les espoirs d’une chimie plus performante, plus sûre et plus respectueuse de l’environnement. Le but serait de travailler avec des flux de réactifs et de produits en continu, en réalisant ainsi les réactions sans interruption temporelle, contrairement aux réacteurs batch habituellement utilisés dans l’industrie. Cela permet d’éviter les temps morts dans les systèmes de production, et d’entrevoir une miniaturisation des réacteurs, en privilégiant la réalisation de réactions en série avec des flux plus faibles, pour un meilleur contrôle et une meilleure sécurité. C’est sur ce type de systèmes que travaille l’équipe 2PM avec le projet de Start-Up Plas 4 Chem, pour la miniaturisation d’un procédé BASF de conversion du cyclohexane en cyclohexanol/cyclohexanone. Les possibilités offertes par ce nouveau type de chimie sont immenses et pourraient constituer une véritable révolution dans la conception des procédés tels que nous les connaissons.

Auteur : Quentin Bouteille
Élève ingénieur à Chimie ParisTech - Promotion 2019

Glossaire

Fonctionnalisation
La réactivité en chimie organique s’appuie en majorité sur des groupes fonctionnels, à la structure et aux propriétés connues, qui permettent globalement de prédire la manière dont les molécules qui en sont équipées vont se comporter. Ainsi, afin de donner une réactivité voulue à une molécule, une fonctionnalisation peut être envisagée, en ajoutant le groupe ou en effectuant une inter-conversion avec un groupe préexistant.

Synthèse divergente
La conception la plus simple d’une synthèse organique part d’une molécule cible que l’on fonctionnalise et que l’on modifie tout au long de la synthèse, jusqu’à obtention du produit final, à l’aide de molécules relativement simples. Cette méthode de synthèse, appelée synthèse convergente, donne des rendements faibles, nécessite de travailler en fin de synthèse avec une molécule très fonctionnalisée et fragile, et permet rarement l’obtention de produits complexes. Une autre approche, qui caractérise les synthèses divergentes, consiste à envisager la molécule comme un ensemble de « sous-molécules », nommées synthons, qui vont être synthétisées indépendamment et que l’on va ensuite assembler. La possibilité de synthétiser plusieurs synthons à partir d’une même molécule cible en modifiant les conditions opératoires est donc très intéressante pour ce type de synthèse. C’est ce type de synthèse que l’on tente de privilégier pour leur plus grande flexibilité et leur plus haute efficacité.

Hotspot
Dans le domaine du nucléaire, le terme « hotspot » désigne une zone dans laquelle la radioactivité est très élevée et bien supérieure aux normes tolérées. Celui-ci est notamment observé après des fuites de fluides radioactivités, la pollution étant très localisée là où le fluide s’est accumulé et / ou a stagné. La formation de hotspots est particulièrement surveillée après les accidents nucléaires dans les zones habitées, car ils peuvent représenter un véritable danger pour la population. Appréhender leur formation et comprendre leur évolution est donc intéressant dans l’étude des phénomènes de pollution nucléaire.