La chimie occupe une place primordiale en santé, tant d’un point de vue cognitif que thérapeutique. En effet, les mécanismes mis en jeu dans de nombreuses pathologies font intervenir des hormones, protéines, récepteurs. L’étude de leur structure chimique et de leur réactivité permettent de mieux les comprendre. La chimie apporte également des solutions thérapeutiques, en raisonnant par analogie avec les mécanismes déjà connus hors des milieux biologiques. Le traitement par chélation, qui utilise des ligands comme simulacres des principes actifs, ou encore comme inhibiteurs ou activateurs de récepteurs, est par exemple utilisé dans le traitement d’intoxication au mercure et repose sur des interactions observées et mises en évidence par des analyses chimiques.

Les chercheurs de Chimie ParisTech mettent en œuvre leur expertise scientifique pour mieux répondre aux problématiques de la santé de demain. Traitement contre le cancer, diagnostic du diabète, compréhension des phénomènes de naissances prématurées, amélioration des techniques d’imagerie… Autant d’enjeux sociétaux connus du grand public explorés par les équipes de l’école.

La chimie au service de la conception de nouvelles molécules thérapeutiques

La chimie  occupe une place majeure dans la synthèse et la fabrication des traitements. Elle joue également un rôle primordial dans leur conception, et notamment dans la galénique qui s’intéresse à la formulation du médicament, à sa forme (gélule, crème…) et à la l’assimilation du principe actif par l’organisme. La chimie intervient également dans la recherche-même du principe actif, où elle peut aider à développer des méthodologies de design et de synthèse de molécules actives. Elle fonctionne alors de pair avec la biologie pour tester et valider les molécules candidates. L’alliance de ces deux disciplines, en couplant recherche et élaboration aux essais in vivo, permet de gagner un temps précieux, sachant que la durée moyenne de la conception d’un traitement jusqu’à sa mise sur le marché oscille entre 7 et 12 ans.

L’équipe de chimie bio-inorganique- Inorganic Chemical Biology Team -ICB-  dirigée par Dr Gilles Gasser installée depuis octobre 2016 à Chimie ParisTech élabore et synthétise des complexes métalliques à des fins médicinales et biologiques avec l’objectif qu’un des complexes étudiés participe à un essai clinique, étape indispensable en vue d’une mise sur le marché d’un traitement.

Au cœur des recherches de l’équipe figure le cancer, première cause de mortalité dans les pays développés et responsable de 13 % de des décès dans le monde. L’équipe explore les mécanismes d’action des molécules actives, ainsi que le design de nouveaux complexes à base de ruthénium, au lieu de platine, pour cibler plus précisément les cellules tumorales et réduire ainsi les effets secondaires souvent importants de ces traitements.

Cette équipe s’intéresse également une autre approche thérapeutique extrêmement prometteuse : la thérapie photodynamique (PDT). Son principe consiste à activer des complexes métalliques préalablement injectés dans le corps et qui resteraient inertes sans activation préalable à l’aide d’un rayonnement lumineux. Ces complexes dits photosensibles peuvent alors détruire les cellules se trouvant à proximité de la zone dans laquelle ils ont été activés, ce qui permet de cibler plus directement les tumeurs tout en limitant les effets secondaires. L’efficacité de ces complexes est conditionnée par la présence d’oxygène, qui est rare dans les cellules cancéreuses connues pour leur caractère hypoxique. L’équipe envisage donc le recours à la thérapie photoactivée (PACT), qui exploite des complexes particuliers entourés d’une structure qui change de forme au contact du rayonnement lumineux, et qui permet leur utilisation dans un milieu pauvre en oxygène.

Les recherches de cette équipe portent également sur des maladies parasitaires, telles que la schistosomiase (appelée aussi bilharziose), véritable problème de santé publique : l’OMS estime en effet qu’au moins 206,5 millions de personnes avaient besoin d’un traitement en 2016. Gilles Gasser et son équipe étudie comment en intégrer des complexes à base de métaux dans des molécules organiques préexistantes. Ce n’est pas la première fois qu’un tel concept est exploré à l’école, puisque l’équipe menée par le Pr Jaouen a été le première a utilisé ce concept avec succès puisque le composé anticancéreux ainsi découvert est actuellement en phase préclinique.

La chimie permet non seulement l’élaboration de principes actifs pour des maladies aux mécanismes globalement connus, mais elle aide aussi à comprendre l’action des traitements pour les optimiser. La chimie, par l’utilisation de méthodes d’analyses poussées, permet aussi d’accéder au mécanisme des pathologies afin de concevoir les traitements adaptés.

Comprendre le fonctionnement des troubles pour mieux les guérir : la chimie comme moyen d’investigation médicale

La chimie analytique vise à développer et à optimiser des techniques de détection et de quantification de composés. Ces composés à analyser se trouvent dans des milieux (appelés matrices) divers et parfois très complexes, au milieu de nombreuses autres molécules. En raison de la difficulté de prélèvement de grande quantité mais aussi de leur conservation, les matrices d’origine biologique, comme le sang ou le placenta, se caractérisent par une complexité encore accrue dans ce domaine. Toutefois l’étude de tels milieux, notamment pour comprendre le développement des pathologies, peut être primordial afin de repérer les signes avant-coureurs d’une pathologie, et donc de trouver le remède adapté pour la soigner.

L’équipe Synthèse, Electrochimie, Imagerie et Systèmes Analytiques pour le Diagnostic - SEISAD- à Chimie ParisTech, dirigée par Anne Varenne étudie l’ensemble des étapes nécessaires à la mise en œuvre d’un diagnostic, de la synthèse de modulateurs d’activité de protéines à l’élaboration de nouvelles méthodes de séparation appliqués à la santé, en passant par le développement de nouvelles techniques en imagerie. Elle s’appuie sur des méthodes analytiques.

L’équipe étudie les phénomènes de fausses couches et de naissances prématurées, dont le nombre augmente dramatiquement ces dernières années. Elle cherche notamment à mettre au point des dispositifs analytiques pour l’évaluation du stress oxydant en collaboration avec la Fondation Prem’Up soutenue par l’Institut Pierre Gilles de Gennes pour la Microfluidique (IPGG). Si des études ont montré qu’un changement du taux d’oxygène du placenta après trois mois de grossesse jouerait un rôle clé dans ce phénomène, le mécanisme en jeu reste pourtant incompris. SEISAD développe un capteur pour mesurer ce stress oxydant, par exemple via la concentration en anions superoxydes dont l’apparition découle de ce stress oxydant. Toute la difficulté réside dans l’adaptation de cet au placenta. En collaboration avec l’équipe Electrochimie de l’ENS et avec l’utilisation d’un modèle animal développé par l’INRA, SEISAD cherche à identifier les mécanismes qui conduisent à ce stress oxydant (la pollution atmosphérique par exemple) et son impact sur les naissances prématurées ou les fausses couches.

Détecter les maladies et améliorer les techniques d’imagerie : la chimie au service de l’analyse médicale

Il existe plusieurs types d’imagerie chacune dédiée à l’étude précise des tissus et des organes, et à la détection de lésions infectieuses, de tumeurs ou d’hernies discales. Des agents de contrastes sont parfois utilisés pour améliorer la qualité des images. Leur élaboration répond à de nombreuses contraintes : la performance de ces produits doit aller de pair avec leur biocompatibilité et leur stabilité en milieu biologique. En lien avec des équipes de biologistes, SEISAD conçoit de tels agents, puis les testent sur des modèles animaux présentant des inflammations ou des tumeurs. Cette équipe s’intéresse tout particulièrement au couplage de l’imagerie IRM à l’imagerie optique dans le proche infrarouge afin d’apporter une modalité complémentaire.

Des agents de contraste sont également développés pour l’imagerie PET (Tomographie par Emission de Positrons), qui permet l’observation du métabolisme cellulaire. En fonction de la nature des agents de contraste, les cibles biologiques mises en avant seront différentes : observation de récepteurs hormonaux, repérage de zones aux processus hypoxiques…

L’équipe de Gilles Gasser développe quant à elle de nouveaux agents pour la TEP à base de l’isotope 89Zr dont le temps de demi-vie est idéal pour « radiomarquer » les anticorps qui mettent beaucoup de temps à atteindre les tumeurs une fois injectés. Cependant, le chélateur actuellement sur le marché (DFO) n’a pas une stabilité suffisante et s’accumulent dans les os. L’équipe de Gilles Gasser, en collaboration avec celle du Pr Thomas Mindt à l’Université Médicale de Vienne en Autriche a récemment découvert un composé bien plus performant que celui sur le marché.

En utilisant des méthodes électrochimiques,  SEISAD contribue actuellement avec l’équipe Interface, Electrochimie & Energie -I2E-  et la Société Impeto Medical au développement et à la compréhension du fonctionnement d’un moyen de détection non invasif du diabète à partir de la sueur des patients, alors que les mesures actuelles pour la glycémie se font à partir du sang.

De nouveaux biomatériaux pour les prothèses

L’équipe de métallurgie Structurale (MS) de l’IRCP développe, en collaboration avec le milieu industriel, des nouveaux matériaux métalliques à très hautes performances pour les applications biomédicales. Des partenariats à long terme, ont pour objectif de mettre sur le marché des nouveaux implants innovants, à la fois dans le domaine des prothèses endovasculaires (stents) et dans le domaine des implants dentaires intra-osseux. L’équipe MS collabore, par exemple, avec la société Biotech Dental, au sein d’un LABCOM, à la fois sur des procédés permettant de développer des implants « intelligents » (Functionnaly Graded Biomaterials) et sur une nouvelle famille de matériaux métalliques (récemment brevetée), combinant une biocompatibilité améliorée à des propriétés mécaniques non encore atteintes pour des alliages biomédicaux.

Perspectives

Ce panorama nous montre comment la recherche menée à chimie ParisTech peut répondre aux grands enjeux de la santé de demain : faire progresser le traitement des maladies, permettre la compréhension de pathologies comme les fausses couches pour les prévenir et les guérir, ou encore améliorer et développer la détection des maladies.

Auteur : Quentin Bouteille
Élève ingénieur à Chimie ParisTech - Promotion 2019

Glossaire

Ferrocenyl (groupement)
Dérivé du ferrocène, le groupement ferrocenyl comporte un Fe(II) lié à deux ligands cyclopentadienyls.

Hypoxique
Cet adjectif vient du terme hypoxie et désigne un milieu pauvre en oxygène.

Schistomiase
Maladie parasitaires très répandue.

Stress oxydant
Type d'agression des constituants de la cellule dû aux espèces réactives oxygénées et aux espèces réactives oxygénées et azotées oxydantes