On les appelle verres, polymères ou encore céramiques. Ils prennent différents aspects et disposent de propriétés particulières mais ont tous en commun d’être des matériaux et d’être omniprésents dans notre quotidien : en électronique, dans le bâtiment, le secteur militaire ou médical… Le développement de matériaux toujours plus innovants passe par la chimie. En effet, le chimiste connaît la structure de la matière et sait la modeler pour obtenir des propriétés bien précises. Pour cela il s’appuie sur la synthèse organique ou minérale, la modélisation numérique mais surtout son inventivité couplée à de solides connaissances théoriques.

Découvrons maintenant comment les chimistes de Chimie ParisTech continuent d’inventer les matériaux de demain.

Développer de nouveaux matériaux inorganiques : utilisation dans les lasers et dans les marqueurs biologiques

Les lasers… un sujet qui fait rêver les plus grands fans d’une saga galactique bien connue mais qui donne beaucoup du fil à retordre aux physico-chimistes. Qu’est-ce qu’un laser ? En 1960, Théodore Maiman réussit pour la première fois à produire un faisceau de lumière amplifié et parfaitement rectiligne à partir d’un cristal de rubis (qui est en fait de l’alumine Al2O3 dopée par des cations Cr3+). Comment ? Grâce au concept de pompage optique, proposé par Alfred Kastler à l’ENS, et pour lequel il a obtenu le Prix Nobel de Physique en 1966. Le LASER (pour « Light Amplification by Stimulated Emission of Radiation ») était né. Dès lors, l’enjeu fut d’améliorer cette technologie aux nombreuses applications : dans le secteur médical, les lasers sont utilisés en chirurgie ophtalmique notamment (le LASIK), dans le nucléaire, la fusion est souvent contrôlée par laser Mégajoule ou encore en microélectronique où les lasers servent à graver la plupart des composants.

L’équipe « Matériaux pour la Photonique et l’Opto-Électronique » (MPO) dirigée par le Pr. Gérard Aka à Chimie ParisTech travaille précisément sur cette thématique. En effet, les lasers émettant dans l’UV(1) sont des technologies complexes à mettre en place car c’est un défi de trouver des matériaux dont les étages de conversion permettent de passer du visible à l’UV. De plus, les lasers actuels à gaz sont trop gros et pas assez performants dans le temps. « Le challenge est mondial. Il faut faire du solide et du compact », rapporte le Pr. Aka. Il semblerait que la solution se trouve du côté des matériaux dits non linéaires, c’est-à-dire comprenant des variations de structure à l’échelle microscopique voire nanoscopique. L’équipe a ainsi réussi à obtenir des conversions visible-UV allant jusqu’à 12,2 % en utilisant un cristal de YAB (aluminoborate d’yttrium) de 2,94 nm d’épaisseur, ce qui constitue une réussite majeure.

S’il est vrai que la recherche mène à de nombreuses impasses, ce sont justement ces dernières qui parfois portent à de grandes découvertes. Un exemple des plus frappants est celui de l’aspartame découvert par G.D. Searle, bien inspiré ce jour-là de goûter un intermédiaire de synthèse au goût étonnamment sucré.

Les chercheurs de l’équipe du Pr. Aka ont quant à eux pu observer, de leur propre aveu un peu par hasard, une luminescence persistante chez des nanoparticules d’oxydes qu’ils venaient de synthétiser. Immédiatement, ils ont envisagé la possibilité de les utiliser comme marqueurs biologiques. Historiquement, ce sont des isotopes radioactifs qui sont utilisés comme marqueurs cellulaires. Par exemple, en tomographie par émission de positons (ou TEP), on utilise une molécule marquée par un isotope radioactif puis absorbée par le patient. Par désintégration b+, la molécule produit les positons nécessaires à cette technologie. Cependant, ces isotopes d’éléments dits lourds, bien qu’injectés en dose très faible et contrôlée, restent plus dangereux que le seraient des particules d’oxydes. Ainsi, des brevets ont été déposés pour le composé ZnGa2O4 : Cr3+. Des études de compatibilité dans les systèmes biologiques sont en cours de réalisation en collaboration avec l’université Paris Descartes pour évaluer toutes les étapes in vivo dans lesquelles ce composé intervient.

Utiliser les matériaux pour protéger l’environnement : l’exemple des polymères biocompatibles et du confinement des déchets nucléaires

L’équipe MPO n’est pas la seule à traiter de la problématique des matériaux à l’école. Les chercheurs de l’équipe de Chimie Organométallique et de Catalyse pour la Polymérisation (COCP) dirigée par le Pr Christophe Thomas développent de leur côté des projets de synthèses éco-compatibles à partir de bio-ressources pour fabriquer des polymères biodégradables. Un enjeu sociétal important donc, pour lequel les défis sont divers : réfléchir tant à la conception du polymère qu’à sa fin de vie, mais aussi allier les cahiers des charges avec ceux des polymères déjà produits sur le marché (en termes de propriétés et de coût principalement). Certains procédés existent déjà pour produire des polymères biodégradables ! On pense notamment au procédé Cargill pour le PLA (acide poly-lactique), qui permet la production de 700 000 à 800 000 tonnes de ce polymère par an, mais qui nécessite l’utilisation de catalyseurs d’étain, relativement toxiques (plus de détails sur ces aspects dans l’article Chimie et Environnement).

L’équipe travaille tout particulièrement sur la polymérisation par contrôle de séquence. Il s’agit de synthétiser des polymères aliphatiques, c’est-à-dire composés de chaînes carbonées linéaires ou de cycles non-aromatiques, à partir de l’ouverture de monomères de type esters cycliques. Le défi est d’arriver à contrôler la microstructure du polymère pour obtenir les propriétés voulues. Pour cela, un intérêt tout particulier est accordé à l’étude de la séquence des monomères (leur ordre) et à la tacticité du polymère obtenu (caractère R ou S des centres stéréogènes).

Cette thématique est présente à l’échelle européenne comme en témoigne le projet de synthèse de composites biosourcés pour l’aéronautique et l’automobile. Afin de réduire la consommation de carburant de ces véhicules en les allégeant, on cherche à remplacer les pièces métalliques par des polymères.

Ces derniers sont largement utilisés dans l’industrie électronucléaire, par exemple dans la dépollution des locaux et équipements des centrales nucléaires(2).

Bien que faisant partie des sources d’énergie renouvelable, le nucléaire, qui constitue la première source d’électricité en France grâce aux 58 réacteurs du territoire, est loin de faire l’unanimité. En effet, l’utilisation d’uranium enrichi pour la fission nucléaire conduit à la production d’un certain nombre de déchets radioactifs qu’il convient de traiter. L’équipe MIM2- Matériaux, Interfaces et Matière Molle- portée par Min Hui Li travaille sur cette problématique. La piste la plus prometteuse est le piégeage des déchets dans des sortes d’argiles et d’oxydes. Ceci permettrait de gérer à long terme les déchets radioactifs et les métaux lourds issus de l’industrie nucléaire.

Une autre piste explorée est l’utilisation de verres comme matrice pour confiner ces déchets. En effet, dès 1960, la France adopte le verre comme matériau pour confiner les produits de la fission, grâce notamment à la souplesse de sa structure et son caractère amorphe. Plusieurs sujets de recherche apparaissent alors. Il faut d’une part simuler par lixiviation (extraction par solvant) l’action de l’eau sur les verres pour observer la résistance à la corrosion. En effet, l’eau ruisselant dans les sols peut à terme les corroder et provoquer des fuites de déchets radioactifs. En outre, il faut étudier la résistance du verre à l’auto-irradiation, c’est-à-dire aux radiations qu’il émet.

Grâce à ces deux exemples, on comprend que les matériaux sont bien au cœur des problématiques actuelles et fortement liés aux enjeux environnementaux et énergétiques du 21e siècle.

La chimie théorique et la modélisation comme vecteurs fondamentaux d’innovation, mais aussi comme soutien privilégié de la recherche appliquée

Avec l’amélioration de la qualité des logiciels et la démocratisation des outils informatiques, la chimie théorique et la modélisation s’affichent comme des domaines d’avenir. Modèles prédictifs, développement de méthodes (mise en équation) puis codage numérique sont autant de projets qui permettent l’avancée en chimie et en physique L’équipe « Chimie Théorique et Modélisation » (CTM) s’occupe de ces problématiques.

« Je suis chimiste avant tout, ce qui me permet de discuter aisément avec l’expérimentateur », affirme le Pr Carlo Adamo. La chimie théorique permet d’expliquer l’expérience d’une part, mais aussi prédire ses résultats ! On peut ainsi déterminer des mécanismes réactionnels qui conduisent à une propriété donnée, ou encore trouver avec certitude les différents produits d’une synthèse avant même de la réaliser.

Parmi les thématiques de recherche de l’équipe figure la modélisation de l’interaction entre la lumière et les molécules et ce, pour expliquer et prédire les propriétés optiques basées sur le phénomène d’excitation des molécules. En effet, beaucoup d’outils ont été développés pour étudier l’état fondamental mais ils sont difficilement, voire non applicables au processus d’excitation moléculaire. Celui-ci a de nombreuses applications, notamment dans les colorants organiques. Un partenariat existe avec L’Oréal qui cherche à disposer d’un outil fiable pour prévoir la variation de couleur de ses produits. Plusieurs recherches ont été réalisées par l’équipe dans ce cadre : l’étude de la cinétique de la peroxydation des molécules organiques d’une part, de leur photo-réactivité et du transfert de charge et de protons dans les réactions photo-induites d’autre part. Ceci a permis une modélisation fiable dans du spectre UV-visible des colorants organiques d’intérêt pour le géant de la cosmétique.

Une autre application de l’excitation des molécules est celle développée par l’équipe Inorganic Chemical Biology Team (ICB) dirigée par Gilles Gasser : la photothérapie dynamique. Cette technique thérapeutique utilise des rayonnements non-ionisants, en l’occurrence la lumière, (pour en savoir plus sur ces recherches, lire « Chimie et santé »). Pour anticiper les performances des photo-sensibilisateurs, des modèles prévisionnels de leur absorption par les systèmes biologiques sont nécessaires. Dans cette optique, l’équipe travaille en collaboration avec l’équipe CTM qui propose des calculs de TDDFT (« Time-dependent density functional theory »), qui, comme leur nom l’indique, sont une théorie quantique qui permet d’étudier l’impact de fonctions dépendantes du temps (tels que des champs magnétiques ou électriques) au sein de systèmes complexes. Un bel exemple de synergies au sein de Chimie ParisTech !

Les propriétés optiques sont aussi utilisées dans le photovoltaïque où la modélisation de l’interaction entre la lumière et les molécules peut être très intéressante. L’objectif ultime ? « Trouver des modèles à la fois robustes et fiables ».

Matériaux métalliques : cap sur l’innovation

L’équipe de métallurgie Structurale -MS- dirigée par le Pr. F. Prima est spécialisée dans la conception et le développement de nouveaux matériaux métalliques et travaille, en collaboration avec différents partenaires industriels dans les domaines aéronautique (TIMET, SAFRAN, Aubert et Duval) et biomédical (Biotech Dental, LVD Biotech), sur le développement de matériaux nouveaux possédant des combinaisons de propriétés inédites (résistance/ténacité, résistance à haute température, alliages à bas module élastique, alliages à gradients de propriétés...) et qui permettent donc de nouveaux champs d’application. L’équipe est également spécialisée dans l’étude de la genèse des microstructures et dans l’étude multi-échelle des relations microstructures/propriétés dans les matériaux métalliques. Elle s’appuie pour cela sur un parc expérimental permettant de mesurer les propriétés mécaniques des matériaux « in situ » (en cours de déformation) à différentes échelles (MET, MEB) et sur une large gamme de température. Ces innovations ont donné lieu à plusieurs brevets en partenariat avec les différents acteurs industriels et font actuellement l’objet de développements intenses visant à amener le développement de ces nouveaux matériaux jusqu’à l’application industrielle.

De multiples retombées et perspectives

Après ce tour d’horizon de la recherche sur les matériaux à Chimie ParisTech, plusieurs faits s’imposent d’eux-mêmes : d’une part, la thématique est directement reliée aux trois autres présentes au sein de l’école. La santé, d’abord, via la conception de nouveaux marqueurs biologiques. L’énergie, ensuite, en ouvrant de nouvelles perspectives au confinement des déchets nucléaires. L’environnement, enfin, en réduisant par exemple la consommation de carburant par le développement de polymères biosourcés pour remplacer les pièces automobiles métalliques. D’autre part, les synergies au sein de l’école à l’exemple de celle entre les équipes des Pr Gasser et Pr Adamo laissent entrevoir de nouveaux horizons pour la recherche.

Auteur : Thomas Moragues
Élève ingénieur à Chimie ParisTech - Promotion 2020

Glossaire

(1) Laser UV
Une émission laser est réalisée en excitant des atomes à l’aide d’une source d’énergie. Ainsi, des électrons passent sur des niveaux électroniques supérieurs en énergie. Lors de la désexcitation, les électrons retombent sur un niveau plus bas en énergie et c’est la différence d’énergie entre le processus d’excitation moléculaire et le niveau de descente qui conditionne la longueur d’onde d’émission du laser. Dans le cas d’un laser UV, cette longueur d’onde est comprise en 400 et 800 nm environ.

(2) N. I. Voronik, V. V. Toropova
Polymer Formulations for « Dry » Decontamination of Equipment and Premises of Nuclear Power Plants, Radiochem. 59, :188-192, 2017.